Si l’Omega Speedmaster est une légende, le public porte un intérêt tout particulier aux exemplaires munis du calibre 321. Quand Omega a annoncé vouloir relancer la production du mouvement 321 de la première Speedmaster, toute la sphère horlogère a retenu son souffle. Les montres vintage équipées de ce calibre historique font partie des modèles les plus recherchés au monde et peuvent atteindre des sommes astronomiques.
L’annonce d’Omega à l’occasion du 50e anniversaire de la mission Apollo 11
C’est pour cet hiver. Omega ne fait pas dans la demi-mesure quand il s’agit de prestige et d’émotions. Comme si le retour de ce calibre historique ne suffisait pas, il intégrera un boîtier en platine avec lunette en céramique, des chiffres émaillés et des compteurs en météorite. Faire le choix de présenter un modèle onéreux le jour de la sortie surprend à peine, car la production des calibres avait déjà été annoncée en édition limitée. Pas moins de 55 000 CHF pour le modèle « d’entrée de gamme », c’est énorme. Avec un peu de chance, une Speedmaster en acier munie du calibre 321 sera introduite d’ici quelques années. Si tel devait être le cas, pas besoin d’être devin pour prédire une hausse colossale de la demande.
Mais pourquoi les amateurs convoitent-ils tant ce calibre ? Il s’agit du premier calibre de la Speedmaster et à ce titre, il a donc participé à la mission Apollo 11 sur la Lune. Mais ce n’est pas tout ! Un tout petit composant du mouvement fait le reste : la roue à colonnes.
La roue à colonnes : la Rolls des chronographes ?
Il suffit de prononcer les mots « chronographe avec roue à colonnes » pour attirer l’attention des connaisseurs. Rien d’étonnant quand on sait que les chronographes des marques composant la « Sainte-Trinité » (Audemars Piguet, Patek Philippe et Vacheron Constantin) son tous munis d’une roue à colonnes. La très prestigieuse marque allemande A. Lange & Söhne a également intégré la roue à colonnes à toutes ses montres munies de la fonction chronographe. Les fabricants qui utilisent la roue à colonnes n’hésitent pas à le crier haut et fort. Les journalistes ne manquent jamais de louer la présence d’une roue à colonnes dans leurs critiques. Parler de chronographe avec roue à colonnes, c’est faire l’éloge de l’horlogerie traditionnelle. Il ne s’agit pas uniquement de mettre ses prouesses techniques en avant, mais bel et bien d’un critère de qualité qui propulse le garde-temps dans la cour des grands.

À quoi cela ressemble-t-il sur les nouvelles variantes de la Speedmaster ? En réalité, les modèles sans calibre à roue à colonnes font l’unanimité – à l’exception des modèles avec mouvement Co-Axial. Ces versions sont néanmoins considérées comme des réinterprétations par les puristes. Avec le retour du calibre 321 avec roue à colonnes dans les ateliers de production (même limitée), la tendance s’inverse brusquement. Les autres modèles de Speedmaster vont-ils être délaissés pour autant ?

Pourquoi la roue à colonnes est une caractéristique si recherchée ? Avant de nous atteler à cette question majeure, nous souhaiterions en aborder deux autres : qu’est-ce que cette mystérieuse roue à colonnes ? Pourquoi la trouve-t-on dans certains chronographes et pas dans d’autres ?
Dans votre quête de réponses, vous plongerez dans les premières années de la montre-bracelet et vous traverserez la crise du quartz avant le grand retour des chefs-d’œuvre mécaniques. Et vous apprendrez également tout un tas de choses concernant la passion et la fascination pour les montres.

Chronographes-bracelets historiques
Le premier chronographe de poignet a été présenté par Longines en 1913, il était animé par le calibre 13.33Z. Ce mouvement offre un aperçu typique des premiers mouvements chronographes avec la roue à colonnes, l’embrayage horizontal (facilement reconnaissable à la roue centrale du chronographe très finement dentée) et le balancier à vis. La construction en mono-poussoir permet de démarrer, d’arrêter et de réinitialiser le chronographe en une seule pression sur le bouton intégré à la couronne.
C’est là que la roue à colonnes entre en jeu : en actionnant le poussoir, la roue à colonnes tourne selon un angle défini et sera maintenue dans sa nouvelle position basse par la roue à rochet dentée, par un loquet et un ressort. En parallèle, les six colonnes de la partie haute tournent aussi. Si l’on observe le calibre autour de la roue à colonnes, on voit quelques leviers complexes à ressort qui convergent vers les trois extrémités de la roue à colonnes.

C’est là que la roue à colonnes entre en jeu : en actionnant le poussoir, la roue à colonnes tourne selon un angle défini et sera maintenue dans sa nouvelle position basse par la roue à rochet dentée, par un loquet et un ressort. En parallèle, les six colonnes de la partie haute tournent aussi. Si l’on observe le calibre autour de la roue à colonnes, on voit quelques leviers complexes à ressort qui convergent vers les trois extrémités de la roue à colonnes.
Deux poussoirs valent mieux qu’un ?
Le deuxième poussoir à 4 heures introduit par Breitling en 1934 marque l’esthétique de la majorité des chronographes actuels. Dans cette variante à deux poussoirs, la roue à colonnes ne compte que deux leviers. Celui responsable de la remise à zéro du chronographe doit en effet être en lien direct avec le deuxième poussoir.
Les chronographes à un seul poussoir n’intègrent que les modèles d’exception souvent inspirés de modèles vintage d’une marque en particulier. Les fabricants aiment jouer dans la cour du haut de gamme. Historiquement parlant, ils représentent cependant la première étape vers le chronographe à deux poussoirs et leur sont nettement inférieurs d’un point de vue fonctionnel. La nostalgie semble ici prendre le dessus sur la fonctionnalité. Doit-on en tirer les mêmes conclusions pour la roue à colonnes ?
Rationalisation du chronographe
Les amateurs de montres ont tendance à oublier qu’il y a peu de temps de cela, la montre mécanique n’était pas uniquement un objet de convoitise réservé aux collectionneurs. Bien au contraire, les gens de toutes les classes sociales ne pouvaient se séparer de leurs montres fonctionnelles obtenues à un prix abordable. Si élégants et esthétiques soient-ils pour les passionnés d’aujourd’hui, les calibres chronographes historiques n’étaient pas réellement conçus pour la production de masse. Principale coupable, la roue à colonnes. Pièce tridimensionnelle à plusieurs niveaux et surfaces fonctionnelles, l’ébavurage était géométriquement compliqué.
Dans le but de simplifier fabrication de chronographes et d’en réduire les coûts, le fabricant d’ébauches Landeron présente le calibre 47 en 1937. Les composants du calibre étaient conçus par l’entreprise Dubois Dépraz, célèbre jusqu’à ce jour pour ses modules de complications et de chronographes. Le calibre 47 remplace d’abord la roue à colonnes par des composants en deux dimensions, les fameuses cames. Grâce à leurs contours complexes, elles sont à l’origine du changement de vitesse du chronographe. L’avantage : contrairement à la roue à colonnes, elles peuvent être découpées pour faciliter la production.
Cette forme de construction s’est peu à peu imposée, de sorte que le mouvement chronographe le plus utilisé de nos jours, le Valjoux 7750 et ses variantes, privilégient le système de cames plutôt que la roue à colonnes.

La célèbre Omega Speedmaster était à l’origine équipée du mouvement Lemania 2310 –appelé calibre 321 par Omega – avec roue à colonnes. Le passage au calibre 861 marque le changement pour le système de cames que l’on retrouve dans le mouvement 1861 de l’actuelle Speedmaster.
Le retour aux valeurs d’origine
Alors que la crise du quartz se profile à l’horizon, la fuite en avant – les garde-temps mécaniques de haute qualité deviennent uniquement des pièces de collection et des symboles de statut – semble incarner le futur de l’industrie horlogère, les cartes sont rebattues. Soudain, le but ultime n’était plus de viser la production de masse la plus rationnelle possible ni de concurrencer les montres électroniques venues d’Asie. Le succès se jouait bien plus sur la transmission d’un héritage historique et des compétences d’une marque. Le client devait pouvoir avoir le choix entre des montres fiables et des biens de luxe empreints d’émotion – et c’est exactement là que le retour des technologies du passé s’est révélé utile et tendance.
Plutôt que de miser sur des constructions épurées et purement fonctionnelles, la fabrication des nouveaux calibres ayant suivi la crise du quartz mettent en avant une certaine opulence. Avec son esthétique élaborée et ses racines historiques, la roue à colonnes refait surface dans les calibres de chronographes modernes. Parmi les meilleurs exemples, le Lange L951.1 de la première Datograph. Leviers élégamment incurvés, chatons en or, gravures à la main et bords polis façon miroir, les composants puisent dans les techniques d’antan et font de l’ombre aux chronographes munis de composants non affinés.

Peut-on parler de qualité inférieure pour les chronographes sans roue à colonnes ?
Difficile pour une montre de se démarquer quand son calibre est muni d’un système à cames. Et pourtant, défi relevé par la Doppelfelix de la petite mais remarquable marque autrichienne Habring2. Elle remporte le prix « Petite Aiguille » décerné lors du Grand Prix d’Horlogerie de Genève 2018, une récompense prestigieuse remise par la scène horlogère.
Même si les mouvements avec roue à colonnes dominent largement dans les garde-temps des marques qui composent la Haute Horlogerie, ils ne sont en rien supérieurs aux calibres munis de systèmes à cames. Des mouvements tels que le Valjoux 7750 ayant démontré leur fiabilité à maintes et maintes reprises sont de véritables symboles de robustesse et de fiabilité. D’un autre côté, Longines prouve que les chronographes munis d’une roue à colonnes ne sont pas exclusivement réservés aux garde-temps d’exception en proposant le Column Wheel Chronograph à bien moins de 2000 € dans sa version neuve.
Mon avis : le mystère de la roue à colonnes
Si les calibres munis d’un système de cames ont été conçus à leur époque avec les meilleures intentions du monde, leur passif de rationalisation et de baisse des coûts ne s’accorde pas tout avec les valeurs luxueuses des montres haut de gamme d’aujourd’hui. Nous savons désormais ce qu’est une roue à colonnes, à quoi elle sert et pourquoi sa production a d’abord été abandonnée avant de faire son grand retour : on sait surtout qu’il n’est en aucun cas question de considérations rationnelles, économiques ou techniques. Il s’agit de quelque chose de plus facilement saisissable : de tradition, d’histoire, d’esthétique et de valorisation. Si l’on met de côté la composante nostalgique, aucun des deux concepts n’est supérieur à l’autre. Soyons clairs : la roue à colonnes et le système de cames ont leur raison d’être, à des niveaux complètement différents.

En signant le grand retour du calibre 321, Omega fait bien plus que de faire revivre d’anciens produits. Il s’agit d’un hommage rendu à une époque où la montre n’était pas un objet de luxe mais une nécessité. À l’heure où la technologie se doit d’être épurée, optimale et souvent de courte durée, le chronographe avec roue à colonnes peut tout aussi bien être perçu comme un anachronisme et un ralentissement du temps.