Les complications, le terme spécialisé désignant les fonctions supplémentaires d’une montre, font partie des arguments de vente les plus décisifs. Alors que certains préfèrent la simplicité d’un modèle à trois aiguilles, beaucoup de passionnés font presque la course aux complications. Mais toutes ne sont pas égales : un tourbillon ou un quantième perpétuel ne joue par exemple pas dans la même cour qu’un simple guichet de la date. Même le chronographe, le chouchou des amateurs de montres, est disponible en de nombreuses versions allant de la plus pragmatique à la plus compliquée. Nous avons consacré de nombreux articles à ces garde-temps classiques munis de complications. Aujourd’hui, nous ne nous intéressons toutefois pas à une complication particulière, ni même à la plus complexe, la plus abordable ou la plus chère : nous vous présentons simplement trois des complications les plus extraordinaires rencontrées sur les montres.
Un oiseau chanteur à votre poignet
Lorsque nous parlons de complications extraordinaires, nous pensons immédiatement aux montres automates. Cette catégorie répertorie des montres mettant en mouvement des figurines ou des scénettes soit à des heures précises, soit sur pression d’un bouton. Certaines d’entre elles jouent une mélodie ou déclenchent un mécanisme de sonnerie, tandis que d’autres intègrent un blackjack et une table de roulette fonctionnelle (purement mécaniques, bien entendu). Les montres de gousset historiques des XVIIeet XVIIIesiècles sont particulièrement célèbres pour leurs illustrations quelque peu osées, souvent cachées au dos du cadran. Ulysse Nardin et Blancpain ravivent aujourd’hui cette tradition, la plupart du temps sous forme de montres très chères et limitées.
Difficile de choisir la complication la plus extraordinaire parmi cette abondance de montres automates fascinantes et folles. La Charming Bird de Jaquet Droz remporte néanmoins la palme. Les connaisseurs auront bien évidemment compris que la marque Jaquet Droz, faisant partie du Swatch Group, est un hommage au plus célèbre fabricant d’automates de tous les temps, j’ai nommé Pierre Jaquet-Droz. La manufacture compense l’absence de lien historique entre la marque actuelle et la personnalité historique par des montres automates qui feraient la fierté de l’horloger neuchâtelois.

La création la plus impressionnante de la maison est probablement la montre Charming Bird. Le cadran n’occupe même pas la moitié du diamètre de la face avant afin que toute l’attention du spectateur soit dirigée sur l’oiseau situé sous le dôme en verre saphir. Le mécanisme qui l’actionne est également visible et situé de part et d’autre. Ce dernier est activé en actionnant un poussoir situé à deux heures : l’oiseau pivote alors autour de son propre axe, bat des ailes et gazouille de manière étonnamment réaliste, en respectant même les tonalités d’un volatile en chair et en os. Les sons sont produits par un système de cylindres en verre munis de pistons pompant l’air par une ouverture. Un levier modifie le volume de l’un des cylindres, produisant ainsi des sons plus graves ou aigus. La vitesse de déplacement est régulée par un frein magnétique développé par Breguet, une autre société du groupe.
Cet impressionnant automate n’est pas né par hasard : Pierre Jaquet-Droz construisait en effet des boîtes à musique ornées d’oiseaux chanteurs se comportant de façon très similaire. Leur miniaturisation et leur intégration dans une montre méritent donc le plus grand respect.
La montre automatique « intelligente » munie de rotors à débrayage automatique
Cette complication extraordinaire entre en scène pour résoudre un problème qui affecte toutes les montres automatiques : une fois les garde-temps complètement remontés, ce qui est généralement le cas avant la fin de la journée pour un utilisateur moyen, un mécanisme de sécurité convertit l’énergie de remontage excédentaire en friction. Cette friction entraîne lentement mais sûrement une usure prématurée du ressort et réduit également sa durée de vie. Ce moindre mal est devenu monnaie courante pour la grande majorité des fabricants de montres et de mouvements d’hier et d’aujourd’hui.
Des idées de solutions existent toutefois déjà depuis les années 1960, mais ces « constructions micromécaniques parfaites » n’ont pas été mises en place à l’époque sous prétexte de « maintenance compliquée ». Ces termes nous viennent de Hans Kocher, l’inventeur du micro-rotor et l’un des pionniers du chronographe automatique – on peut donc supposer qu’il connaissait son sujet sur le bout des doigts. Son évaluation de 1969 a en quelque sorte posé les premières pierres de cette complication vraiment extraordinaire, qui n’est cependant arrivée sur le marché qu’environ 40 ans plus tard.

En 2010 et 2011, deux fabricants ont présenté pour la première fois une montre munie d’une telle complication. La marque DeWitt a baptisé sa solution A.S.C. (Automatic Sequential Winding) et l’a intégrée dans un mouvement doté d’un rotor externe, d’un chronographe et d’un tourbillon. En 2011, c’est au tour de Richard Mille de lancer la RM 030 : même si cette montre indique uniquement la date et la réserve de marche, elle est tout sauf simpliste.
Sur la DeWitt Twenty-8-Eight Régulateur A.S.W., un mécanisme permet de s’assurer que le mouvement se désolidarise du remontage automatique dès que celui-ci atteint 96 % de la réserve de marche (environ 69 heures pour ce modèle). Le rotor continue de tourner, mais le cliquet de remontage n’est plus en mesure de s’engager. Dès que la réserve de marche tombe à 92 %, le remontage est de nouveau embrayé et le cycle recommence.

Sur la Richard Mille RM 030, le remontage s’arrête dès qu’une réserve de marche de 50 heures est atteinte et redémarre lorsque la réserve de marche est de 40 heures. Un indicateur en position 12 heures permet à l’utilisateur de savoir si le remontage est actuellement en marche (aiguille sur « ON ») ou débrayé (aiguille sur « OFF »). L’entreprise affirme que la conception de la complication a nécessité quatre ans de travail. D’un point de vue technique, elle repose sur l’affichage du couple déjà présent dans la première montre de Richard Mille, la RM 001 sortie en 2001. Celui-ci permet de tester la force du ressort et de relier ou non le rotor au remontage. Cette complication a été développée par Audemars Piguet (Renaud et Papi), dont le fondateur Giulio Papi avait déjà travaillé avec M. Mille dans les années 1990.
Une solution plutôt compliquée à un problème plutôt secondaire ? Ce sont précisément ces petites choses qui alimentent notre fascination pour les montres mécaniques !
Le tourbillon invisible
Nous vous avons pour le moment présenté une complication relativement amusante et une complication très technique. La complication qui suit est toutefois impossible à catégoriser. La montre qui l’incarne parfaitement est la Haldimann H9 Reduction, qui peut être interprétée comme une œuvre d’art, un commentaire philosophique, ou une énième expression absurde du phénomène de la montre de luxe – je vous laisse choisir.
Qu’est-ce que la Haldimann H9 Reduction ? Il s’agit d’une montre sur laquelle un cristal de saphir noirci empêche de voir le cadran. La montre fonctionne correctement, son tic-tac distinctif est perceptible, mais il est impossible d’y lire l’heure. Ce qui sonne comme une mauvaise blague est heureusement sauvé par le tourbillon, et pas n’importe lequel : un tourbillon volant, qui n’est monté que d’un seul côté et provient de la manufacture horlogère Beat Haldimann, une entreprise familiale est forte de plusieurs siècles de tradition horlogère.
Au vu d’une telle montre, il est tout à fait légitime de se demander quel message le créateur essaye de nous faire passer. La H9 Reduction peut être considérée comme la digne héritière de la H8 Flying Sculpture présentée quelques années auparavant par Haldimann. Celle-ci possède en effet également un tourbillon volant et, bien que son cristal de saphir ne soit pas noirci, cette « sculpture horlogère » est elle aussi dépourvue d’aiguilles.
La H9 reste un mystère. L’examen d’un cas semblable nous apportera peut-être un semblant de réponse. Qu’en est-il par exemple des mouvements d’horlogerie minutieusement affinés à la main pour ensuite disparaître sous un fond en acier opaque ? Son propriétaire peut uniquement compter sur la satisfaction apportée par un tel chef-d’œuvre au poignet, sans jamais le voir. Le regretté Walter Lange a toujours aimé souligner que toutes les pièces affinées d’une A. Lange & Söhnerestaient elles aussi invisibles aux yeux de son porteur. La H9 Reduction de Beat Haldimann pousse ce principe à l’extrême. Le fait que l’affichage du temps, qui est pourtant la fonction principale d’une montre, soit absent du cadran ne semble pas poser le moindre problème à la marque.
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